Figure d’attachement et sécurité émotionnelle chez l’enfant

Par Guillaume Le Penher
enfant en manteau jaune qui explore

Qu’est-ce qu’une figure d’attachement ? Comment assurer la sécurité émotionnelle chez un enfant et pourquoi est-ce primordial ?

Anne Raynaud-Postel est psychiatre et fondatrice de l’Institut de la parentalité. Dans son ouvrage « La sécurité émotionnelle de l’enfant » publié chez Marabout, elle détaille la manière dont les liens se tissent entre enfants et « donneurs de soins » (caregiver). Elle nous rappelle que la sécurité émotionnelle est aussi importante que la sécurité physique de l’enfant. Ce sont 2 préalables au développement physique et psychique de tout enfant.

Cet article se base en partie sur la conférence qu’Anne Raynaud-Postel a donné lors du congrès « Innovation en Éducation » à Montpellier. La synthèse graphique est dessinée par Sophie (graphiqueasy.com).

Si la notion de sécurité physique parait évidente et primordiale, celle de sécurité émotionnelle de l’enfant demande plus de réflexion et quelques connaissances de base. Voici ce que nous allons explorer ensemble dans cet article…

sketchnote conférence Anne Raynaud-Postel

Anne Raynaud Postel, « La sécurité émotionnelle de l’enfant » et la théorie de l’attachement

1/ Notre regard a évolué

Après la seconde guerre mondiale le regard porté sur les enfants a évolué par paliers. Il faut dire que nous partions de loin ! En effet, les jeunes enfants ont longtemps été considérés comme « des mini larves insensibles » selon l’expression d’Anne Raynaud-Postel. L’anesthésie systématique lors de soins douloureux des bébés s’est généralisée très tard (au cours des années 80-90 seulement !). L’enfant a également pu être considéré comme un « adulte miniature ». Le décalage entre cette vision et la réalité du développement de l’enfant entraine son lot d’exigences incongrues de la part des adultes.

En France, au début des années 90, on pouvait encore tenir des propos pédophiles à la télévision publique sous couvert « d’amour réciproque » ou « d’expérience sensuelle ». Certains milieux (littéraire, politique, philosophique…) se permettaient des attitudes et des propos qui allaient à l’encontre de la liberté qu’ils prônaient. L’écrivain pédophile Gabriel Matzneff pouvait ainsi présenter ses livres sur le plateau d’Apostrophe en 1990 et déballer ses « amours » avec des jeunes filles de 15 ans. Seule une journaliste canadienne, Denise Bombardier était alors choquée sur le plateau et interpellait Mr Matzneff en le trouvant « pitoyable ». En outre, elle déclarait que « la littérature sert (en France) d’alibi à ce genre de confidences (pédophiles) ». De tels faits étaient alors déjà pénalisés au Canada ou aux USA.

De tels comportements ne traduisaient pas pour autant une horizontalité des rapports enfants-adultes. La période était encore très verticale dans la relation adulte-enfant. Ce que papa dit, enfant fait. Sinon…

Heureusement, en une génération, le chemin parcouru est impressionnant. Avancée des connaissances, mise à jour des pratiques éducatives et de soin, évolutions des mentalités et des interdits culturels. Le tableau dressé à l’instant sur les années post-1968 parait déjà si loin en terme idéologique et technique. Les parents d’aujourd’hui sont issus en majorité de cette période et sont extrêmement choqués en découvrant les propos tenus par certains adultes dans leur enfance.

2/ Les 3 Piliers de construction

Anne Raynaud-Postel nous décrit dans sa conférence les 3 piliers de la construction d’un enfant.

  • La génétique
  • L’expérience
  • L’environnement

Si la génétique détermine une part non-négligeable du caractère, nous savons désormais que tout n’est pas figé. L’épigénétique démontre que l’environnement fait évoluer nos gènes au cours de la vie. Pour le meilleur et le moins bon. Des traumatismes, des carences affectives ou alimentaires graves influencent autant la génétique et l’héritage transmis à la génération suivante que les reprogrammations neuronales. Pour se développer physiquement et mentalement, l’enfant a donc besoin d’un environnement stable et sécurisant. Cette stabilité lui permet de découvrir et d’expérimenter, les 2 facteurs de la croissance.

Notre rôle de parent, que nous découvrons « sur le tas », est de veiller à la qualité de cet environnement affectif plus que matériel. La chaleur des liens quotidiens a un impact direct sur l’enfant. Dans ce domaine, la qualité est plus importante que le nombre. Cela renforce le sentiment de sécurité et la force de l’attachement.

3/ La théorie de l’Attachement

L’attachement à une figure particulière (« donneur de soin » ou « caregiver ») est un mécanisme biologique de survie. Il n’est pas spécifique à l’être humain. On le trouve chez d’autres animaux. Observez une portée de chiots ou de chatons. Vous verrez que ceux qui stimulent le plus leur mère seront les mieux nourris. Ils augmentent ainsi leurs chances de survie. Dans un second temps, ils font d’incessants aller-retours entre leur mère et l’environnement autour d’eux. Ils alternent entre phases de découverte et phases de ré-assurance. Anne Raynaud-Postel utilise la métaphore du porte avion. Le porte avion, c’est la figure d’attachement. L’avion part en exploration et peut revenir à tout moment au porte avion, en sécurité.

C’est John Bowlby qui a décrit cette théorie après une dizaine d’années de travaux, en 1969. Il s’est inspiré des recherches antérieures de Winnicott, Lorenz et Harlow. La description du système comportemental d’attachement a permis de mieux comprendre la manière dont l’enfant explore son environnement.En effet, il a besoin de se sentir en sécurité pour le faire. La présence et la disponibilité de la figure d’attachement est indispensable.

Si la figure d’attachement s’absente, il se produit 2 phénomènes. Soit le mécanisme d’attachement s’active en continu, ce qui met fin à l’exploration. Soit en cas d’absence totale, l’enfant renonce à l’attachement et exclut les émotions qui y sont liées. Évidemment, un tel renoncement provoque des conséquences graves sur la santé mentale et la construction sociale future.

4/ Les 3+1 types d’attachement

Suite à la description de la théorie de l’attachement par John Bowlby, Mary Ainsworth a entrepris de nombreuses études de terrain tant en Écosse qu’en Ouganda. C’est elle qui a défini les 3 premiers profils d’attachement. Les traductions françaises varient. Je prends celles de la page Wikipedia de la théorie de l’attachement. Dans l’ordre nous avons :

  • Profil « sécure »
  • Profil « anxieux évitant »
  • Profil « anxieux résistant »

Par la suite, Mary Main a ajouté un quatrième profil à la liste :

  • Profil « désorganisé »

Selon les spécialistes, la population se répartit en 2/3 de profils sécures et 1/ de profils insécures qui se répartissent dans les 3 autres types. Le type d’attachement n’est pas forcément corrélé à la quantité ou à la qualité du lien. Les enfants mal traités peuvent développer un lien d’attachement particulier avec une figure principale sans que celle-ci soit bienveillante. Insécurité compromet l’exploration et la confiance en soi de l’enfant. Du coup, l’enfant ne maitrise pas son environnement.

enfant en manteau jaune qui explore

L’exploration n’est possible que lorsqu’une figure d’attachement est proche.

Regardons un peu plus en détails les 4 types d’attachements et leurs conséquences potentielles.

A. Profil sécure

Dans ce cadre, la figure d’attachement fait preuve de cohérence et de prévisibilité. Elle répond de manière rapide et appropriée à la détresse de l’enfant. Pour l’enfant, la base de sécurité est fiable. Il proteste si elle part et se sent rassuré à son retour. L’exploration peut donc reprendre. Certains étrangers peuvent le rassurer mais il garde une nette préférence pour sa figure d’attachement habituelle.

B. Profil anxieux évitant

Lorsque la figure d’attachement (ou caregiver) ne répond pas ou peu au stress de l’enfant ou qu’il décourage les pleurs en valorisant l’indépendance, l’enfant adopte généralement un profil anxieux évitant. Face à la séparation, il n’y a pas ou peu de détresse ni de signe de réaction au retour de la figure d’attachement. L’enfant ne maintient pas le contact visuel s’il est pris dans les bras que ce soit par un étranger ou par la figure d’attachement. Il ignore ou détourne le regard. A l’école, il va plutôt avoir tendance à extérioriser ses troubles.

C. Profil anxieux résistant

Ce profil est associé à une incohérence des réponses du caregiver. Elles sont parfois appropriées et d’autres fois négligentes. La base de sécurité est défaillante. L’enfant va avoir tendance à chercher le contact juste avant la séparation. Les sentiments vis-à-vis de la figure d’attachement sont ambivalents. Le stress provoque colère, recherche d’attention et dégoût pour le caregiver. Il alterne entre attraction et répulsion. Un étranger le calme très difficilement. A l’école, il préfère intérioriser ses troubles.

D. Profil désorganisé

Les situations de maltraitance, de confusion de rôles, de négativité, d’intrusion et de retrait aboutissent à un mélange toxique pour l’enfant. L’absence totale de cohérence empêche l’élaboration d’une stratégie d’attachement particulière. L’enfant oscille entre différents types qui indiquent une désorientation. En milieu scolaire, comme l’anxieux évitant,  il extériorise ses troubles.

5/ Comment créer un lien d’attachement sécure ?

Ces 4 profils ne sont pas des étiquettes mais des grilles de lecture comportementale. Ils nous font comprendre l’importance d’une base de sécurité affective dans la construction mentale et sociale de l’enfant. Anne Raynaud-Postel élargit le spectre en insistant sur la construction d’une « chaine de sécurité ». Où qu’il soit, l’enfant doit savoir vers aller. Le caregiver n’étant pas forcément toute la journée auprès de l’enfant, il a donc besoin de relais fiables. L’assistante maternelle, l’encadrant périscolaire, l’enseignant, la cantinière… Tous doivent devenir potentiellement un maillon de cette chaine de sécurité de l’enfant. Nous avons chacun un rôle à jouer par notre présence et notre cohérence pour apporter une sécurité émotionnelle.

La théorie de l’attachement n’est pas liée à des sentiments comme l’affection ou l’amour d’un parent pour son enfant. En psychologie les termes précis sont :

  • « attachement » de l’enfant vers l’adulte
  • « caregiving » de l’adulte vers l’enfant

La peur ou le danger déclenche une alarme interne qui active le système comportemental d’attachement. La réponse de l’adulte à cette alarme va déterminer très tôt le type d’attachement sécure ou insécure. Il faut au moins une figure d’attachement pour un développement émotionnel et relationnel correct. Constituer une chaine de « donneurs de soins » permet à l’enfant de se sentir en sécurité dans les différents lieux de socialisation qu’il fréquente.

6/ Conséquences

Le type d’attachement développé dans l’enfance régit les sentiments, les pensées et les attentes par rapport aux autres. C’est donc toute la construction sociale et émotionnelle qui est affectée. L’épigénétique nous démontre que les choses ne sont pas autant figées que nous le pensions il y a 30 ans. Cependant, plus l’âge avance, plus les efforts sont importants pour modifier les chemins neuronaux du cerveau. D’ailleurs dans 75% des cas, les schèmes d’attachement des enfants sont les mêmes que celles de leur caregiver. En prenant conscience de notre propre type d’attachement développé dans notre enfance, nous pourrons décider si c’est le type que nous souhaitons pour nos enfants.

Pour offrir un lien d’attachement sécure à notre enfant, nous devons être :

  • Stable
  • Cohérent
  • Empathique
  • Prévisible

Nous devons également lui offrir un ratio d’au moins 50% de réponses positives à son stress. Il doit savoir avec certitude qu’il peut compter sur nous. Pour cela, nous devons être CLAIR ! Apporter une base émotionnelle stable grâce à une figure d’attachement qui remplit les 4 critères énumérés ci-dessus permet à l’enfance de développer sa résilience.

Guillaume Le Penher

Papa en constante progression…