Depuis que les tablettes, smartphones, ordinateurs, téléviseurs, consoles de jeux, panneaux publicitaires ont envahi nos vies, la question des enfants et des écrans revient sans cesse dans l’actualité. Outils de travail, de divertissement ou éducatifs comment gérer l’utilisation des écrans par nos enfants ? Quelles sont les conséquences d’une exposition prolongée sur leur développement ? Nous sommes aujourd’hui régulièrement alertés sur les risques liés à la surconsommation d’images. Alors comment faire le tri dans toutes ces infos sans passer sa nuit à surfer sur Internet ? Fabriquons-nous des “crétins digitaux” comme le martelle Michel Desmurget dans son dernier ouvrage ? Sophie a décidé de mener l’enquête pour En Résumé !
Un soir d’hiver à la campagne…
Par une humide et froide soirée de janvier, je me rends à la conférence d’Elisabeth Baton-Hervé intitulée : “Les écrans et les Tout Petits”. Cette soirée de rencontre et d’échange est organisée par les RIPAME (réseaux intercommunaux parents assistants maternels et enfants).
J’arrive en avance devant la salle. Pendant que les organisatrices dinent ensemble à l’intérieur, j’en profite pour discuter avec d’autres mamans. Les “Chuchoteries du mardi” sont un événement incontournable dans notre belle campagne !

Elisabeth Baton-Hervé
Docteure en sciences de l’information et de l’éducation, Elisabeth Baton-Hervé étudie les relations Parents/Enfants/Écrans depuis plus de 20 ans. Tout en connaissant parfaitement son sujet, elle se garde de porter des jugements ou de nous donner des injonctions.
La conférencière entame sa présentation en faisant un rappel des bouleversements qui se sont produits dans les dernières décennies. La profusion des supports et des formats, l’omniprésence, l’accès illimité, l’usage dès la plus petite enfance ne sont qu’une partie de l’iceberg. Elisabeth Baton-Hervé nous décrit également la sophistication des savoirs-faire pour capter notre attention et celle de nos enfants. Par exemple, la captologie mêle les techniques numériques et les méthodes d’influence afin de marchandiser notre temps captif.
La première conséquence de cette évolution et ce perfectionnement est le risque d’habitude. Soyons clairs, cela entraine une dépendance aliénante et nous coupe du contrôle de nos vies.
Flash-Back : Le Club Dorothée
Si vous avez plus de 35 ans, vous vous souvenez certainement de la bande de Dorothée qui animait les mercredi du PAF des années 80-90. C’était le temps de la libéralisation de la télévision française. La 5, par exemple, avait 2 robinets : celui à pubs et celui à séries Z achetées en promotion…
Avant cette époque, les chaines développaient des programmes ludo-éducatifs. Lorsque Dorothée était sur la deuxième chaine, l’ambiance était différente…
A partir du milieu des années 80, les enfants sont devenus la cible des publicitaires en devenant des prescripteurs d’achat auprès de leurs parents. Les enfants constituent désormais une audience. Alors les chaines ont développé des programmes dédiés dès le matin afin qu’ils augmentent leur temps d’écran. Les programmes fédérateurs de fin d’après-midi n’étaient plus une priorité.
Depuis les années 2000, nous assistons à la multiplication des chaines privées qui ciblent une audience toujours plus précise, jusqu’aux bébés !
Pourquoi succombons-nous ?
Tous ces spécialistes de “l’Entertainment” nous le disent : “C’est pour leur bien !” L’argument éducatif est mis à toutes les sauces (Barilla, Heinz, Lesieur, Amora…). Grâce à leurs programmes, nos enfants vont apprendre plein de concepts incroyables qui nous échappent (pauvres parents que nous sommes !)? Ils vont pouvoir acquérir de fabuleux apprentissages préscolaires fondamentaux ! Voilà leur promesse. D’ailleurs, vous souvenez-vous du contenu crucial contenu dans les épisodes de Goldorak ou d’Olive et Tom ?
Et si vous trouvez que votre nouveau-né est coriace pour s’endormir, vous êtes libre d’essayer l’indispensable appli : “Bébé somnolent gratuit”…
Est-ce une forme de démission de notre part ? Sommes-nous quotidiennement tellement sous pression que nous utilisons les écrans pour nous alléger la tâche ? Quelles que soient nos réponses intérieures à ces questions, examinons avec Elisabeth Baton-Hervé les conséquences sur le développement de l’enfant.
Il marche comme Dora !
Les professionnels de la petite enfance sont en première ligne pour constater le décalage cognitif de certains enfants. Elisabeth Baton-Hervé cite cet exemple pioché dans les dizaines d’entretiens qu’elle a mené auprès des professionnels de la petite enfance.
Deux encadrants s’interrogent sur la démarche étrange d’un jeune garçon. En discutant ensemble, l’un d’eux s’exclame soudain : “il marche comme Dora l’exploratrice !”… Interloqués, ils décident d’en discuter avec les parents. En effet, l’enfant passait des heures, à regarder des épisodes de Dora. Il en avait logiquement assimilé tous les codes.
Les écrans nuisent aux apprentissages classiques comme la spatialisation. Le monde en 2D des tablettes ne peut remplacer la vraie vie en 3D. Et ne parlez pas de lunettes de réalité virtuelle !
La plasticité cérébrale se développe grâce aux expériences concrètes que l’enfant vit au quotidien. Les habitudes contribuent à renforcer certains chemins neuronaux.
Le langage nait du besoin de socialisation des humains. Plus nous avons d’interactions, plus nous développons notre vocabulaire et notre intelligence émotionnelle.
La lumière des écrans perturbe notre rythme circadien et abime nos yeux. Notre habileté optique se dégrade avec une surconsommation d’écrans, notre champs de vision se rétrécit.
C’est un cas extrême !
Oui, l’exemple de ce jeune garçon qui marche comme Dora est aujourd’hui extrême. Mais qu’en sera t’il demain ?
Elisabeth Baton-Hervé nous rappelle aussi que la publicité clandestine dans les dessins animés existe vraiment. Quelles sont réellement les intentions des producteurs de contenus destinés aux enfants ? On se souvient de l’accès de franchise de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, qui avouait vendre du temps de cerveau disponible aux annonceurs. Pensons-nous réellement que nos enfants seraient épargnés de ce marchandage ?
Voici ce qui guette nos enfants si nous n’y prenons garde :
- Retard de motricité
- Développement intellectuel limité
- Retard de langage
- Troubles de l’attention
- Isolement affectif
- Addiction aux écrans
- Sommeil perturbé
- …
Écrans et enfants, quelle attitude adopter ?
Notre premier rôle en tant que parent ou éducateur est de montrer l’exemple. C’est si simple à dire et pourtant cela nous demande parfois la même discipline que celle que nous exigeons de nos enfants ! Pas d’écran à table (télévision ou smartphone), pas d’écran au parc (pour les parents;)) et surtout pas d’écran avant 3 ans comme le préconise le CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel).
Après 3 ans, maitriser le temps. Rester sur des plages courtes et accompagnées. Il faut lutter contre la ritualisation de l’écran. Nous ne devons pas planifier des temps systématiques (exemple le matin pour s’habiller…). Cela doit rester EXCEPTIONNEL. Il faut aussi parler avec eux de ce qu’ils voient, de ce qu’ils ressentent en tant que spectateurs.
Revenons à la sémantique de l’ÉCRAN : c’est un objet interposé qui dissimule ou protège. Sa vocation n’est donc pas de rassembler mais d’isoler. Les écrans nous isolent des autres, de la vie et de nous-même. N’avez-vous jamais ressenti un sentiment de culpabilité voire de perte d’estime de soi après avoir regardé à la suite 10 épisodes de votre série préférée ?
Lorsque nous plaçons un bébé dans son cosy devant une tablette ou un téléviseur, est-ce que nous lui offrons la possibilité de changer de chaine ? Le bébé ne peut pas fuir, il est donc prisonnier de l’écran…
Génial ! Une tablette dans mon cartable…
Comme on n’arrête pas le progrès, il finira bien par nous dépasser complétement ! Une bonne idée consiste à mettre en place dans certains collège des cours sur tablette. C’est vrai que les parents (et les enfants !) se plaignent depuis des années du poids du cartable. Manuels, cahiers, matériels divers et tenue de sport, c’est sûr qu’il y a un problème.
Alors, la technologie sort du bois et déboule avec sa solution rutilante : la tablette ! Pas en cire ni en bois bien sûr. Nous connaissons des collégiens qui en sont déjà dotés. Nous imaginons d’ici la fierté de l’établissement à la pointe du progrès. Mais est-ce bien si cool et fun que ça ?
OK, ça fait “stylé” dans la besace. Mais finalement, le gain de poids n’est pas si évident que ça car la transition n’est pas encore complète. Les cahiers subsistent, tous les manuels ne sont pas en version numérique… Enfin, le temps d’exposition aux écrans explose, les pathologies visuelles augmentent, les maux de tête sont plus fréquents et l’impact sur le sommeil mal mesuré. Et je ne parle pas ici des problèmes de casse, de vol ou de considérations bassement écologiques…
Il est temps de se poser des questions avant de foncer bille en tête et généraliser de tels déploiements technologiques. Développons notre esprit critique face aux marchands du Temple qui nous hypnotisent continuellement !
Au fait, j’ai un secret à vous révéler : je n’ai pas de télévision depuis plus de 20 ans. Je vais très bien, merci, même si je souffre un peu de n’avoir jamais vu un épisode de Star Wars ou un épisode de “Desperate Housewives”...
À bon entendeur,
Sophie
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PPS : Et si vous doutez encore, regardez cet extrait d’un entretien ou Michel Serre explique que “l’espérance de vie qu’ils ont gagné, ils la perdent à devenir cons …”
Liens et ressources :
Le site D’Elisabeth Baton-Hervé
“Grandir avec les écrans” d’Elisabeth Baton-Hervé (parution en février 2020 aux éditions Eres) avec les témoignages de plus de 50 professionnels de la petite enfance.
“Les dangers de la télé pour les bébés” de Serge Tisseron
“Qui a peur des jeux vidéos ?” de Serge Tisseron
“Enfants et écrans, reprenez la main” guide gratuit publié par l’UNAF (union nationale des associations familiales)
Les préconisations de Serge Tisseron : “Apprivoiser les écrans et grandir”
Collectif de surexposition aux écrans : COSE
Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique : OPEN